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Cette conférence est basée sur un article réalisé fin 2013 qui est disponible sur www.du9.org. Hervé Brient, le conférencier, est le rédacteur en chef de la revue d'étude Manga 10 000 images, coadministrateur du forum Mangaverse.net et rédacteur pour le site du9.

Deux anthologies sont accessibles pour les lecteurs occidentaux, la première en américain et la seconde en français. Elles proposent deux approches un peu différentes et complémentaires : A Drunken Dream couvre mieux les différentes périodes de l’auteure alors que Moto Hagio Anthologie s’attache à nous faire découvrir les œuvres courtes les plus marquantes publiées chez l’éditeur japonais Shogakukan. Les deux ouvrages se recouvrent partiellement car quelques nouvelles sont communes.

La bande dessinée japonaise se développe dans la presse, notamment satirique, à la fin du XIXème siècle. Les premiers magazines à destination des jeunes filles apparaissent au début du XXème siècle mais il n’y a que du rédactionnel et des romans illustrés. La bande dessinée n’apparait dans ces revues qu’à partir de 1910. Elle se développe petit à petit, passant du yonkoma (strips humoristiques en quatre cases) à des courtes histoires sur plusieurs pages (jusqu’à une vingtaine). Ces histoires ne sont jamais à suivre. Le public visé est celui des préadolescentes

La Seconde Guerre mondiale donne un coup d’arrêt au développement du manga au Japon (les auteurs sont massivement appelés sur le front et le papier se raréfie). Il se développe à nouveau dans les années 1950 (pendant le « miracle économique » japonais des années 1950-1960).
Tezuka va influencer le manga pour enfants et développer le « story manga » : ce sont des histoires réalisées sur plusieurs chapitres liés entre eux afin de développer un aspect feuilletonnesque. Le succès rencontré par Tezuka entrainera de nombreuses imitations. N'oublions pas aussi qu'à cette époque, le shôjo est principalement dessiné par des hommes. Il y a par exemple Tetsuya Chiba (il fait du manga pour filles dans les années 1950-1960 et même jusqu’en 1970). Parmi les auteurs notables, il y a aussi Kajutsi Matsumoto et Leiji Matsumoto.
Pourtant, les femmes vont petit à petit investir, en toute logique, le shôjo manga. Hideko Mizuno est une des premières femmes auteures. C’est une ancienne de la pension Towika-so (un lieu de vie et de rencontres entre mangaka). Elle est très influencée par Tezuka, comme tout le monde à l’époque. Durant les années 1960, les femmes arrivent de plus en plus nombreuses. Outre Mizuno, on peut noter l’éclosion de Yoshiko Nishitani, une auteure qui a « révolutionné » le shôjo manga en y racontant des romances.
Cette féminisation de la bande dessinée est surtout due au développement des hebdomadaires pour garçons, les shônen : Magazine (1959), Sunday (1959), Jump (1968). Les besoins des hebdomadaires sont tels que les hommes vont se consacrer de plus en plus exclusivement à ce genre. De ce fait, il manque des mangaka pour les magazines shôjo. Pour palier à cela, les éditeurs développent des concours à l’attention des débutants pour trouver des talents prometteurs. Un des avantages de cette évolution est que les auteures femmes sont plus proches de leur lectorat et vont mieux répondre aux attentes des lectrices. Ainsi, les mangas que Moto Hagio lisait plus jeune évoluent, glissant petit à petit d’un public préadolescent à un public plus âgé.

Moto Hagio fait ses débuts en 1969 dans le magazine Nakayoshi. Elle est introduite chez l’éditeur Kodansha par une mangaka femme habitant la même ville qu'elle. Bianca, disponible dans A Drunken Dream est un de ses premiers récits. Il est représentatif de l’époque :
- il se passe dans un Occident (Europe/USA) fantasmé ;
- les personnages sont non japonais ;
- on retrouve le thème classique de l’enfant perdu/déraciné ;
- Il y a la nécessité de dépayser/faire rêver en permanence.
Katoppo no furugutsu (inédit en anglais ou en français) montre une évolution du shôjo manga au début des années 1970. L’action se passe dans un collège/lycée au Japon et non plus à l’étranger. De plus le thème de la pollution causant des maladies aux enfants a dû interpeller les jeunes lectrices de l'époque.
Moto Hagio quitte ensuite Kodansha pour aller chez Shogakukan afin d’avoir plus de liberté créatrice.
Pauvre maman est un autre exemple, disponible dans l'anthologie de Glénat. Si l’Angleterre du début du XXème siècle est un lieu classique et fantasmé, le sujet est moins coutumier du genre car il s’agit ici d’un matricide.
Le Cœur de Thomas est une des œuvres les plus connues de Moto Hagio en Occident. Dans l’anthologie de Glénat, on peut lire le prototype intitulé « Le Pensionnat de novembre ». Pourtant, Moto Hagio est surtout connue au Japon pour ses œuvres de science fiction. Elle n’est pas la pionnière du Boys Love comme on le croit communément. Le Cœur de Thomas n’a pas eu de succès car il était publié dans une revue au lectorat très jeune alors qu’il s’agit d’une œuvre complexe et noire, très différente de ce qu’on avait l’habitude de lire à l’époque.

À la même époque, on note une diversification des thèmes, des personnages dans le shôjo manga. Par exemple :
- Fire! qui se passe aux USA, dans le monde de la musique. La série présente une double originalité avec des personnages (plus) âgés et une des toutes premières relations sexuelles des personnages (suggérée). Hideko Mizuno est une des premières femmes mangaka à succès.
- Arabesque qui est située en URSS, dans le monde du ballet. Il s’agit d’un des tous premiers mangas à succès sur la danse. Ryoko Yamagashi est membre du Groupe de l’an 24. Le Groupe de l’an 24 est une construction postérieure et théorique qui regroupe un certain nombre de femmes mangaka qui se sont exprimés à la même époque, c'est-à-dire dans les années 1970. Elles sont nées dans les environs de 1949 et les plus connues sont Moto Hagio, Keyko Takemiya, Oshima Yumiko, Ryoko Yamagashi et Ryoko Ikeda.
- Maya no sôretsu : Il s’agit d’une nouvelle qui donne son titre à une anthologie. Il s’agit d’un des tout premier yuri (histoire d’amour entre filles), situé comme de bien entendu dans un pays anglo-saxon indéfini, fantasmé. L’histoire est très sombre, très dramatique.
- Aries no otometachi qui se déroule au Japon, dans le monde estudiantin. Il s’agit d'une histoire de jeunes filles qui découvrent l’amour et l’amitié. Le titre présente donc une double originalité pour l'époque avec des personnages âgés et une histoire se passant au Japon.

Pendant une dizaine d’année, Moto Hagio a multiplié les séries à succès et a remporté des prix aussi bien auprès de Shogakukan que de la Nihon SF Taikai. Il existe trois grands prix attribués dans le manga :
- Shogakukan Manga Shô (Award) ;
- Kodansha Manga Shô (Award) ;
- Tesuka Osamu Bunkashô (Cultural Award), organisé par Asahi Shimbun.
Moto Hagio a remporté le 21ème Shogakukan Manga Shô en 1976 pour Poe no Ichizoku et Nous sommes onze qui ont terminé ex aequo dans la catégorie Enfant. Poe no ichizoku est une histoire fantastique mettant en scène des vampires. Il s’agit d’un récit très psychologique, tourné vers les tourments du personnage principal, Edgar. C’est un très grand succès à l’époque, ce qui a permis à Moto Hagio de terminer Le Cœur de Thomas. Nous sommes onze est un huis clos spatial dont l’histoire est inspirée d’une histoire fantastique d’un écrivain japonais et date des années lycées de l’auteure. Dix postulants à l’entrée d’une prestigieuse académie spatiale doivent réussir une épreuve de survie et il se révèle qu’ils sont onze et non dix.
Ce n’est pas la première incursion de l’auteure dans la science fiction. Les premières histoires SF de Moto Hagio datent de 1971 (Seirei gari) et 1972 (Asobi dama).
La mangaka a remporté trois fois un autre prix, le Seiun Shô (récompensant les meilleures histoires de science fiction) pour Star Red (1980), Gin no Sankaku (1983) et X et Y (1985, disponible dans le recueil A-A’). Elle remporté en 1997 le prix de l’excellence du Tezuka Osamu Bunkashô pour Zankoku na kami ga shihaisuru et elle a aussi remporté en 2006 le Nihon SF Taishô pour Barbara Ikai.
Star Red est la première série « longue » de SF de Moto Hagio. L’héroïne est d’origine martienne mais elle vit sur terre chez son père adoptif. Elle cache son origine et ses pouvoirs psy. A-A’ est un recueil composé de trois nouvelles indépendantes situées dans un même univers en partant d'un postulat : les unicorns ont une intelligence hors-pair mais sont dénués d’émotion.

Pendant ce temps-là, de nombreuses histoires à succès paraissent dans les différents magazines pour filles. Citons :
- Très cher frère : Ryoko Ikeda est surtout connue pour La Rose de Versailles (1972-1973). Sa façon de mettre en page les situations, notamment avec des planches visuellement marquantes et une narration graphique très éclatée a été l'apport principal au manga de l'auteure. On retrouve dans Très cher frère le thème (habituel à l’époque) du pensionnat avec une histoire se passant à l’étranger.
- Kaze to ki no uta : Premier « vrai » shonen-ai, son succès qui va lancer le genre Boys Love. Keiko Takemiya a fait entrer Moto Hagio chez Shogakukan et a partagé avec elle pendant plusieurs années la même pension. L'autre titre connu de Takemiya est To Terra qui est de la SF. Dans Kaze to ki no uta, on retrouve encore le thème du pensionnat et l'histoire est située à l’étranger.
- Glass no kamen : Connu en France par son animé « Laura ou la passion du Théâtre ». L’histoire se passe dans le monde du théâtre. C’est une romance qui a pour elle sa longueur exceptionnelle (surtout pour du shôjo), même si elle n’est pas la seule dans ce cas. La série est toujours en cours mais les nouvelles sorties sont très espacées depuis 15 ans.
- Croque-Pockle : L’histoire se passe à Hokkaido. L’héroïne, orpheline, vit avec ses deux sœurs. Son but est d’ouvrir une boutique de sculptures artisanales. Elle devra surmonter de nombreuses épreuves et pourrait bien découvrir l’amour. Yumiko Igarashi est une auteure de shôjo classiques : Romances, héroïnes souvent maltraitées par leur entourage mais restant courageuses, froufrous ne sont jamais bien loin.

Durant les années 1980 et jusqu'au début des années 2000, Moto Hagio se lance dans des séries ambitieuses, tant dans leur contenu que dans leur longueur. Marginal est une série SF dont le thème principal est la maternité dans un monde sans femmes. Les relations parent-enfants sont un fil rouge de toutes les œuvres de la mangaka à cette époque.
Princesse Iguane est une nouvelle qui met en scène des relations familiales dysfonctionnelles. Moto Hagio n’a jamais caché qu’elle a eu de nombreux conflits avec ses parents. Ils étaient très stricts et voyaient d’un mauvais œil la passion de leur fille pour le manga. Surtout, la mère de Moto Hagio a exercé de nombreuses pressions psychologiques pour que sa fille ait une vie « normale », c'est-à-dire se marier, avoir des enfants et s’occuper du foyer.
Moto Hagio s’est beaucoup intéressées à la psychologie des relations familiales. Après « Mon côté ange », « Princesse Iguane » est une nouvelle étape vers un pardon envers ses parents. Rika est persuadée d’être un iguane, ainsi que l’a toujours vue sa mère. Le rejet maternel va être aggravé par l’arrivé d’une sœur que sa mère préférera. Heureusement intelligente, Rika va réussir à se construire au lieu d’être détruite par de telles relations malsaines.
Zankoku na kami ga shihaisuru est la plus longue série de Moto Hagio. L’auteure y pousse encore plus loin les relations dysfonctionnelles et les drames familiaux (Viol, haine, meurtre, amour entre beaux-frères). Mais ici, l'action fait place au développement des rapports psychologiques entre les personnages.
The child who cowes home : Le sujet est la mort d’un enfant, disparition que n’arrive pas à accepter la famille entière. En effet, Moto Hagio, même après plus de 15 ans de carrière au sommet, continue à creuser le thème des relations familiales. Un autre exemple en est donné avec Angel Mimic (disponible aussi dans A Drunken Dream) sur les conséquences de l’avortement sur la psychologie d’une jeune femme.

On trouve dans le shôjo manga une grande diversité de thèmes et d’univers graphiques.
Banana Fish est une histoire policière (guerre des gangs/mafia), sans personnage féminin, avec une relation d’amitié très forte entre les deux protagonistes. Le graphisme est très peu « shojo », tout comme la narration. On est loin de Ryoko Ikeda ou de Yumiko Igarashi.
Avec Pink, Kyôko Okazaki a apporté une nouvelle façon d’aborder la sexualité féminine avec des relations très crues, des filles très libérées sur le plan sexuel. Mais elle a aussi popularisé un nouveau graphisme, très spontané et dépouillé.
X est l’œuvre maîtresse du studio CLAMP. Il s'agit d'un shôjo apocalyptique, très violent, notamment sur le plan des relations entre les personnages. Il s’agit d’un récit très travaillé, narrant une épopée tragique se déroulant sur un grand nombre de tomes (la série est en pause depuis plusieurs années), la guerre entre le bien et le mal n’y étant pas décrite de façon manichéenne.
Onmyôji est une adaptation en manga d’une série de romans à succès se passant dans le Japon ancien. Le titre met en scène le monde de la cour impériale à l’ère Heian (8ème- 12ème siècle) mais dans une atmosphère fantastique tout en expliquant l’omnyôdo (la voie du yin et du yang). Le folklore japonais est convoqué à chaque chapitre.

Au XXIème siècle, Moto Hagio continue à produire du manga, mais plutôt du josei (le magazine Flower a remplacé le Petit Flower depuis plusieurs années). Une de ses principales séries récentes est Barbara Ikai. Il s'agit d'un mélange entre SF, fantastique et onirisme. Une jeune fille est dans le coma après avoir assassiné ses parents, un médecin entre alors dans son esprit, et s’introduit dans ses rêves pour découvrir la vérité. L’auteure s’est inspirée de ses lectures sur le langage notamment des livres de Noam Chomsky.
The Willow Tree est une courte nouvelle de dix pages, à raison de deux cases muettes par page, sur l’absence de la mère.
Léokun est un récit plus léger, humoristique, à destination des enfants. Il y a une volonté éducatrice, étrangement publié dans Flower et non dans un magazine komodo (pour très jeunes enfants). Le personnage principal est un chat anthropomorphe, ce qui assez habituel dans le monde du manga.
Fukushima Drive est un hommage aux victimes des drames liés au tsunami de 2011 et aux tremblements de terre au Japon. Moto Hagio a repris les paroles d’un musicien et chanteur de pop/rock japonais Kai Yoshihiro.

Le shôjo manga a connu une certaine évolution cette dernière décennie, plaçant les relations hommes-femmes au cœur du récit, y compris sur le plan sexuel. Avec Strawberry Shortcake, Kiriko Nananan se révèle être la digne l’héritière des récits de Kyoko Okazaki mais en plus policée et avec un graphisme très léché et épuré. C’était nous est une romance très douce, poétique alors que Virgin Hotel est un digne représentant de la sexualisation des shôjo manga durant les années 2000, peut-être une conséquence du Ladies Comics des années 1980 qui pouvaient être assez explicites. On a ainsi observé un glissement des mangas pour femmes aux foyers vers un public d’adolescentes. Quand à Chihayafuru, malgré son magazine de prépublication connu pour ses récits assez explicites, il s’agit d’un manga de « sport  » sur un jeu de cartes traditionnel.

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