Conférence Gengoroh Tagame par Hervé Brient

Gengoroh Tagame était un des quatre auteurs japonais invités à la quarante-quatrième édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême. Bien avant que sa venue soit connue, j'avais proposé de faire une conférence le concernant : c'est un auteur de manga dont la renommée a largement dépassé le cercle des amateurs du genre dans lequel il officie principalement, notamment depuis la sortie du Mari de mon frère.

Biographie

Gengoroh Tagame est en effet spécialisé dans un genre bien particulier : le bondage sado-maso pornographique gay. Sa préférence va aux hommes musclés et poilus, hyper virils. C’est ce domaine qui l’attire le plus artistiquement, et c’est pour ça qu’il est surtout mangaka et illustrateur. Il a aussi écrit des nouvelles et de courts romans gays et compose de la musique qui est écoutable à partir de son site tagame.org. « Gengoroh Tagame » est un pseudonyme.

Il est né le 3 février 1964 (53 ans). Il a vécu une partie de son enfance à Kamakura, une ville côtière située au sud-ouest de Tokyo. Alors qu’il a 13 ans, après avoir découvert des revues comme Renaissance ou Fuzokukitan, il s’aperçoit qu’il apprécie les hommes musclés. Ce n’est que des années plus tard, alors qu’il est au lycée qu’il comprend qu’il est homosexuel. Il a fait son coming-out auprès de ses parents à 25 ans ; ils ont cru qu’il plaisantait au début avant de se rendre à l’évidence. Son frère s’en était aperçu des années auparavant en ayant découvert une pile de magazines gays cachés par Tagame. Il a fait ses études supérieures à l’université des beaux-arts de Tama (Tokyo), en section graphisme car il appréciait le dessin depuis son adolescence. D’autres mangaka viennent de cette école comme Kei Toume et Makoto Yukimura (invité à Angoulême il y a quelques années).

C’est à cette époque qu’il commence à envoyer ses premiers mangas à des magazines et qu'il réussit à se faire publier chez June en 1982 (sous un autre pseudonyme). C’est en tant qu’illustrateur, alors qu’il est étudiant, qu’il débute réellement. Il publie ses premières illustrations entre 1984 et 1985 dans des magazines gays comme Sabu, Adon et Bara toujours sous un autre nom. Il écrit aussi des courts romans dans ces mêmes magazines en 1985. Il choisit son nom de plume à cette occasion. 

C’est lors d’un voyage en Europe qu’il découvre l’univers SM gay, par le biais d’un magazine américain. 

Il obtient un diplôme supérieur en graphisme en 1986 et commence à travailler comme directeur artistique dans une entreprise. Il y reste jusqu’en 1992. Tout en étant salarié, il publie son premier manga professionnel dans Sabu en 1987.  Il devient designer indépendant en 1992, vraisemblablement pour gagner en liberté.

En 1990 il produit une centaine de planches, en 1991, environ 130, et en 1992, il se lance dans sa première longue série : Naburi-mono qui dure jusqu’en 1993. En 1994, il devient artiste professionnel et se consacre à plein temps à son art. Il se lance cette année dans sa plus longue série Shirogane no hana (plus de 800 pages) dans le magazine Badi, série qui va durer jusqu’en 1999.

Il participe à la création de G-men en 1994 avec l’aide de deux anciens salariés de Badi. Il assure la majeure partie des tâches éditoriales, du planning à la fabrication, en passant à la conception, à l’écriture de textes, aux illustrations (notamment les couvertures du numéro 1 au numéro 62) et des mangas. Le « G » de G-men serait celui de Gengoroh.

Après avoir participé à une exposition collective en 1996 aux USA, il expose en solo à Tokyo en 1998 ses illustrations de couvertures pour G-menIl publie le premier tome de Gay Erotic Art in Japan en 2003, le second suit en 2006. Il s’agit de deux recueils d’illustrations homoérotiques réalisées durant les XIXème et XXème siècle au Japon. C’est en 2007 qu’il a sa première exposition en solo en France, à la galerie ArtMen. Depuis, il y expose à peu près tous les deux ans. Il a aussi participé à l’exposition collective sur l’érotisme japonais qui a eu lieu à la Pinacothèque de Paris en 2014.

Toujours en 2007, il publie sa première histoire de manga non gay (42 pages) dans un mensuel d’épouvante josei de Bunkasha puis sa deuxième. En 2009, son troisième manga non gay (43 pages) est lisible dans un mensuel seinen, toujours chez Bunkasha. Il est invité au Toronto Comic Arts Festival en 2013, et au Festival d’Angoulême en 2017. 

En 2014, il commence Le Mari de mon frère dans le magazine seinen Monthly Action

Bibliographie sélective

Au Japon, ses œuvres sont compilées dans plusieurs recueils, en sus de ses séries longues. Cela totalise plus d’une vingtaine de titres. 

Naburi-mono, sorti en 1992, a été le premier tankobon (manga relié) à se vendre correctement, au point qu’il a été rapidement épuisé. Pourant, les quelques tentatives qu’il y avait eues auparavant avaient toutes été des échecs commerciaux. Shirogane no hana est à ce jour la série la plus longue de l’auteur. Elle s’est étalée sur 5 ans dans Badi et totalise 3 tomes épais. L’œuvre a été rééditée en 2012. Pride, sorti en 2004, totalise aussi trois tomes. Il s’agit d’une série de 600 pages parue dans G-Men entre 1996 et 1997, complétée par des histoires courtes parus chez SM-Z et G-Men.

Gay Erotic Art in Japan, en deux tomes (T.1 en 2003, T.2 en 2006) proposent chacun un texte de l’auteur consacré à l’art érotique gay japonais jusqu’aux années 1960. Cet essai est accompagné de reproductions des illustrations les plus remarquables.

Tenshu ni sumu oni est une compilation parue en 2005 qui contient notamment GunjiSlave Training Summer Camp est la dernière compilation en date parue au Japon en février 2017 chez Pot Publishing. Tagame continuer à publier dans Badi ( avec par exemple : Planet Brobdingnag dont le dernier chapitre a été publié dans le numéro de décembre 2016). 

Aux USA, on trouve principalement l’anthologie The Passion of GengorohTagame chez Fantagraphics. Un éditeur allemand, Bruno Gmünder, sort en Europe et aux USA des titres en anglais (par example, The Contracts of the Fall sorti en 2015). En 2017, House of Brutes , déjà sorti en espagnol, le sera en anglais chez ce même éditeur. L’anthologie Massive, consacrée à neuf auteurs japonais de manga « bear », propose un extrait de Goku après un article consacré à Tagame.

En France, c’est l’éditeur H&O qui édite Gengoroh Tagame. Gunji est sorti en 2005, Arena en 2006, les trois tomes de Goku entre 2008 et 2009 et Virtus en 2010. Depuis, plus rien, H&O ne semblant plus avoir l’intention de publier d’autres titres de l’auteur. Il ne nous a pas donné d’explication ; on peut penser que les ventes sont devenues insuffisantes.

En Italie, deux titres sont sortis : une anthologie originale compilant de nombreux inédits (une volonté de l'éditeur), Racorni Estremi, et L’inverno del pescatore (disponible aussi en anglais sous le nom de Fisherman's Lodge). Tagame est aussi traduit en coréen avec une localisation du Mari de mon frère

Une petite histoire de l'homosexualité au Japon (I)

Pour bien comprendre l'importance de Gengoroh Tagame en tant qu'artiste gay, il est nécessaire de s'intéresser à l'histoire de l'homosexualité au Japon puis à l'histoire des publications homoérotiques.

Les relations homosexuelles au Japon sont une tradition ancienne, à l'instar de celles qui semblent attestées en Grèce Antique. Pourtant, il ne faut pas raisonner selon les schémas actuels. L’homosexualité n’était pas un choix de vie exclusif lié à une orientation sexuelle. 

Les relations entre hommes se sont particulièrement développées dans les monastères bouddhistes après le Xe siècle. Cependant, il faut attendre le début du XVIIe siècle pour véritablement trouver des textes (des poèmes célébrant l’amour entre deux hommes). Par exemple, vers 1750, on trouve des estampes shunga (érotiques) mettant en scène des relations physiques entre deux hommes. Kitagawa Utamano, un artiste important d’ukiyo-e, représente à plusieurs reprises des actes sexuels entre hommes. 

Il faut comprendre que ces relations étaient inscrites dans une relation hiérarchisée de maître à élève. Au sein des communautés bouddhistes, les novices sont associés à des hommes plus âgés et expérimentés. L’apprentissage spirituel passe aussi par les relations physiques entre le maître et son élève. Le bouddhisme de l’époque était méfiant envers les relations hétérosexuelles, la femme pouvant détourner l’homme de la voie de la spiritualité. Les samouraïs se sont inspirés de cette tradition de relations viriles. Les serments de fidélité, de loyauté, de fraternités passaient aussi par une relation charnelle sans équivoque.

Les relations homosexuelles se sont diffusées petit à petit dans les autres couches de la société japonaise, notamment par le biais des acteurs de théâtre, notamment du kabuki après l’interdiction faite aux femmes de jouer (pour éviter qu'elle se prostituent après leurs représentations). Les prostituées femmes sont alors remplacées par des prostitués hommes. Le Nô met en valeur la beauté juvénile des jeunes garçons. Mais il ne s’agit pas d’identité homosexuelle : les relations entre hommes sont considérées comme un jeu, un amusement. On ne trouve pas d’exemple de relations homosexuelles exclusives comme choix de vie.

Néanmoins, avec l’adoption à marche forcée du Japon aux idées occidentales lors de la période Meiji va faire disparaître cette ouverture ; ce d’autant plus que les traditions bouddhistes et des samouraïs se sont diffusées dans les établissements scolaires durant le XIXe siècle. L’adoption des idées occidentales homophobes, notamment celles issues de la psychanalyse, se diffusent rapidement au début du XXème siècle. C’est alors la chasse aux comportements sexuels « décadents » des étudiants masculins.

À partir des années 1930, l’homosexualité réapparaît dans la littérature, cette fois-ci selon une conception plutôt occidentale. En 1949, Yukio Mishima publie Confession d'un masque, une œuvre autobiographique sur un jeune garçon devant cacher qu’il est homosexuel. En 1952, le magasine Adonis est le premier magazine « homo » et il est diffusé en privé. C'est en 1962 que le premier numéro de Fuzokukitan paraît. Il s’agit d’un magazine consacré aux pratiques « perverses » (hentai zasshi) qui va du BDSM hétéro à l’érotisme lesbien. Il y a aussi de nombreuses illustrations d’hommes musclés plus ou moins dénudés, les principaux auteurs étant Tom of Finland et George Quaintance. 

Une petite histoire de l'homosexualité au Japon (II)

La notion d’art gay, d’après Tagame, ne peut pas remonter avant les années 1960, du fait que la notion de gay (dans son acceptation de choix de vie) n’existait pas réellement au Japon. Tom of Finland (1920-1991 – Finlandais) et George Quaintance (1902-1957 – USA) puis, plus tard, Robert Mapplethorpe (1946-1989 – USA ) sont des artistes qui ont profondément marqué et influencé Tagame. Il a découverts les deux premiers alors qu’il était adolescent.  

Les premiers magazines s’adressant aux homosexuels ne contenaient pas de manga, juste des illustrations de nouvelles ou de courts romans, ainsi que des photos et des textes plus généraux. C’est le cas de Fuzokukitan qui paraît jusqu’en 1974. Adonis, un des précurseurs a été publié entre 1952 et 1962. Mais il ne contenait pas de manga.

En 1971, le premier magazine gay grand public voit le jour. Barazoku est publié par un hétérosexuel, Bungaku Ito. De parution irrégulière au début, le magazine devient bimestriel puis mensuel en 1974.Il s’agit d’un magazine généraliste : il n'est pas spécialisé comme les autres supports s’adressant aux homosexuels. Il est épais (dans les 300 pages) et il contient de nombreuses photos d’hommes jeunes en N&B mais aussi en couleurs. Certaines photos peuvent être qualifiées de pornographiques, mais elles sont censurées. Le magazine contient aussi quelques illustrations, des histoires courtes (non mangas), des entretiens, des articles divers, des petites annonces, etc. mais très peu de manga. 

Le terme « bara » (rose en japonais) vient du recueil Bara-kei / Killed by rose.  Un premier magazine gay s’appelle Bara mais sa distribution est privée et il ne dure pas. Barazoku signifie la tribu des roses. Le terme « bara » est tombé en désuétude et Tagame estime même qu’il est devenu péjoratif. 

Sabu voit son premier numéro paraître en 1974. Le magazine disparaît en 2002. Tagame y a fait ses débuts de mangaka professionnel et y a publié nombre de ses mangas entre 1987 et 1994. En 1986, Bara-komi est le premier d’une série de numéros spéciaux de Barazoku contenant exclusivement du manga gay. Entre temps, Samson commence sa publication à partir de 1982. D’un magazine gay plutôt généraliste, il se spécialise durant les années 1990 dans la représentation d’hommes un peu plus âgés et enveloppés. Surtout, il participe au développement du manga dans les magazines. Il paraît toujours. Badi voit le jour en 1994, G-men en 1995. Il y a eu d’autres tentatives mais les magazines ont disparu assez rapidement. 

À partir des années 2003-2004, un nouveau type de magazine voit le jour. Il s’agit d’anthologies thématiques de mangas gays, plus ou moins (plutôt plus que moins) pornographiques. C’est ainsi que voient le jour Kinniku Otoko qui connait 11 numéros entre 2003 et 2004, Bakudan (6 numéros entre 2004 et 2006), Gekidan (14 numéros entre 2004 et 2008), Nikutai-ha (19 numéros entre 2006 et 2010, plus trois autres numéros en 2011), G-bless (10 numéros entre 2009 et 2010), etc. Comic G-men Gaho, lancé en 2011 n’a pas tenu plus de 13 numéros et n’a pas passé l’année 2014.

En effet, comme un peu partout dans le monde, y compris au Japon, les magazines papiers ont de plus en plus de mal à vivre. Les habitudes de consommation culturelle changent de plus en plus avec Internet et la téléphonie mobile. Le piratage (scans), très développé dans le domaine du manga gay n’a pas aidé les magazines à survivre. À l’inverse, le dôjinshi (micro et auto publication) s’est beaucoup développé ces dernières années et il est désormais possible d’en vivre grâce aux ventes sur Internet et lors des conventions. 

Une variété stylistique

Du fait de l’importance et de l’influence de Tagame, le bara est perçu comme étant du manga pornographique gay sado-maso. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le bara n’est pas un genre homogène.

Au Japon, l’homosexualité se vit avant tout comme une pratique sexuelle et rarement comme un mode de vie comme on peut le voir en Occident. En société, l’homosexuel vit avant tout caché, rare sont ceux qui font leur coming-outIl est donc logique de trouver avant tout du sexe dans les œuvres réalisées à destination du public homo.

Même s’il s’agit d’un manga de genre, avec ses codes et ses passages obligés, le manga gay, essentiellement pornographique donc, propose une certaine diversité, aussi bien thématique que graphique. Il existe plusieurs mangas gays.

Les rapports entre partenaires sont généralement consentis dans l’œuvre de certains auteurs, ce qui est loin d'être une généralité. Par exemple, Kôtaro Matsumoto met avant tout en avant les sentiments, la tendresse, les émotions, ce qui le rapproche du yaoi. Autre exemple avec Jirayia, l’autre magaka gay connu internationalement, après Tagame. Il marie souvent avec bonheur l'amour et l’humour dans ses histoires ; et ses personnages, bien enveloppés, sont de nature heureuse et souriante.

Et à partir de 2003, les anthologies se mettent à présenter de plus en plus de récits proches du yaoi, l’apparence esthétique des personnages étant la principale différence : ils sont moins éphèbes, nettement plus musclés. Récemment, c’est un cheminement inverse que l’on peut observer : des auteurs de bara produisent pour des magazines yaoi, ce qui amène un univers graphique différent dans ce dernier genre.

La distinction Bara et Yaoi

Il est nécessaire de définir rapidement le contour de ces deux genres de mangas mettant en scène des relations entre hommes.

Bara : terme désignant le manga gay fait par des hommes (la plupart du temps, de moins en moins vrai), essentiellement pornographique, produit à destination des hommes (mais pas seulement, en réalité).

Yaoi : manga mettant en scène des amours entre hommes fait par des femmes (essentiellement) et produit pour un lectorat féminin (mais on estime à quelques pourcents les hommes japonais qui en lisent).

Les origines du yaoi remontent au milieu des années 1970. Pour simplifier, on site comme pionnier Le Cœur de Thomas de Moto Hagio paru entre 1974 et 1975 dans un des principaux magazines shôjo de l’époque (Sho-comi). Mais c’est le succès de Kaze to ki no uta de Keiko Takemiya (1976-1979, même magazine) qui lance la mode du shônen-ai (c'est ainsi qu'on appelait ce genre d'histoire à l'époque). Avec le boom du manga au début des années 1980, et la segmentation toujours croissante des lectorats, le yaoi nait avec la sortie du magazine June (1979-1987) puis s’est développé avec le magazine Be x Boy de l’éditeur Biblos en 1988. 

Tagame a publié son premier manga dans June, vraisemblablement en ayant eu un prix dans les nombreux concours pour débutants organisés par les magazines.

Pour Tagame, une des principales différences entre le yaoi et le manga gay est la vision des années 1970 de l'amour entre hommes : il s'agissait dans le premier cas d'un « amour dangereux » C’est une vision qui a toujours rebuté Tagame. Un autre artiste activiste gay et drag-queen, Masaki Satô, a dénoncé la vision de l’amour homosexuel masculin dans le yaoi. Il estimait que ça renvoyait une image idéalisée et irréaliste des gays. Cependant, il ne faut pas oublier que la plupart des histoires de Tagame (et de la plupart des autres mangaka gay) ne renvoie pas une image plus réaliste de l’homosexualité et des gays. 

Dernière précision, Tagame n’utilise pas le terme « bara » pour désigner le manga gay fait pas les hommes pour les hommes : il estime donc que le terme est dépassé et même devenu péjoratif car utilisé par les hétéros pour désigner les homos. C’est surtout en Occident que l’on utilise ce terme pour désigner ce type de manga.

L'œuvre de Gengoroh Tagame (illustrateur)

Tagame ne se présente pas comme mangaka (auteur de manga), mais comme artiste d’érotisme gay. En effet, comme déjà dit, il ne fait pas que du manga. Il est aussi auteur de textes : des nouvelles, des courts romans et même quelques essais. Par essai au Japon, il faut comprendre tout texte de réflexion, même court. Cela concerne surtout les articles dans les magazines. Ses nouvelles et courts romans ont souvent été écrits sous d’autres pseudonymes, principalement dans G-men.

Il est aussi illustrateur et peintre. Comme déjà dit, il expose ses illustrations et ses peintures très régulièrement dans le monde, principalement en France (Paris, Lille), mais aussi en Italie (Bologne), en Espagne (Barcelone), en Allemagne (Berlin), aux USA (New-York), en Australie (Sydney) et bien entendu au Japon (Tokyo).

Depuis quelques temps, il s’est mis à faire de courts films d’animation en 3D, ce qui l’a amené à faire de la modélisation 3D de personnages avec le logiciel Poser. Réaliser ses films lui fait ainsi manipuler huit logiciels différents. Pour avoir un aperçu de son travail, le mieux est d’aller sur son Tumblr  (non censuré).

L'œuvre de Gengoroh Tagame (mangaka)

Si la carrière de Tagame dure depuis tout ce temps, c’est qu’il a su varier sa production. Il faut bien comprendre qu’il exerce dans le domaine du manga de genre, le genre pornographique, qui rend obligatoire la présence d’un certain nombre de scènes. 

Ses influences proviennent surtout d'Osamu Tezuka en ce qui concerne le médium manga. Les titres de Tezuka étaient les seuls mangas acceptés à la maison lors de son adolescence. Tagame a notamment apprécié la série Dororo. On retrouve un hommage à Tezuka dans une des histoires de Tagame : Gedo no Ie qui est une relecture d’AyakoToutefois, son blog montre qu’il s’intéresse au manga en général et au cinéma, pas seulement gay. Il est aussi très amateur de peinture, notamment classique.

Comme déjà dit dans sa biographie, il a aussi fait deux courts mangas dans un magazine josei, un court manga dans un magazine seinen et il a actuellement en cours une série seinen qui va s'achever prochainement (totalisant ainsi quatre tomes), Le mari de mon frère.

Tout au long de sa carrière d'auteur de mangas gays, Tagama a su s’adapter aux demandes du public en faisant varier l’âge de ses personnages (de l’adolescent au quinquagénaire). Il varie aussi énormément les époques et les lieux de ses histoires. L'image ci-dessus propose une sélection de huit histoires courtes représentatives de cette variété.

Un exemple : Fisherman’s Lodge, publié au Japon en 2011 est une histoire en 112 pages centrée sur  une rencontre entre deux hommes solitaires. Certes, les scènes crues sont bien présentes ; mais Tagame s’écarte en partie du BDSM qui est son principal moteur créatif pour proposer un récit plus centré sur les relations entre les protagonistes du récit. 

L'œuvre de Gengoroh Tagame (technique)

Depuis quelques années, Tagame est passé au numérique, principalement pour l’encrage et la mise en couleur. Il travaille sous Mac et utilise une tablette graphique.

Il réalise une histoire longue généralement ainsi : il crée une série de « modules », c’est-à-dire des scènes-clés qu’il organise selon une sorte d’organigramme. Ensuite, il réarrange leur ordre jusqu’à définir son récit. Il en profite pour annoter son travail et retenir les idées qui lui viennent. Il continue en réalisant sur papier un chemin de fer qui lui permet de travailler sur deux pages en vis-à-vis afin de s’assurer de l’équilibre des planches entre elles. 

Une fois le chemin de fer réalisé, il passe au namu, c’est-à-dire au découpage, mettant ainsi son histoire en cases et en page. Il écrit/finalise les dialogues pendant la réalisation du namu.

Lorsqu'il travaille pour un magazine grand public, il alors fait le point avec son éditeur pour discuter d’éventuelles corrections à faire. Pour Badi, il créée en toute liberté et sans conseils extérieurs.

Il réalise alors les crayonnés. Il scanne ensuite la page, la nettoie et l’encre informatiquement avec le logiciel Clip Studio Paint, un logiciel d’origine japonais mais qui est disponible en français. Avant, il faisait son encrage au pinceau, au stylo Milipen et au Rotring, selon les éléments à encrer. Et il posait des trames mécaniques.

Les décors, notamment les bâtiments, peuvent être conçus en 3D avec Clip Studio. Il utilise Poser pour le rendu. Ensuite, il redessine le tout afin que les personnages soient bien intégrés au décor. S’il y a une mise en couleur, elle est réalisée avec Corel Painter, un grand classique du genre. Avant, il faisait ses couleurs en utilisant l’acrylique. Enfin, il fignole et ajoute quelques effets si nécessaire avec Photoshop.

Ses illustrations sont réalisées de la même façon.

Le mari de mon frère (I)

Le mari de mon frère n'a pas été conçu pour être une série longue. Tagame pensait que si la réception du premier tome était mauvaise, ça n'irait pas plus loin qu'un diptyque. On sait depuis la visite de l'auteur au festival d'Angoulême que la série fera en tout 4 tomes. 

La réception étant bonne dès le début, Tagame a donc continué en développant d'autres sujets dont il a envie de parler à propos de l’homosexualité. Il cherche ici à faire un manga avec un point de vue hétéro. Il se base sur sa propre expérience et les réactions des hétéros de son entourage.

L'histoire :
Mike, un Canadien, vient de perdre son mari, Ryôji, qu’il avait épousé au Canada. Il commence alors une sorte de pèlerinage au Japon, afin de faire le deuil de son amour perdu. Il se rend alors chez Yaichi, le frère jumeau de Ryôji, qui vit seul avec sa fille Kana.

Publication au Japon :
Prépublication depuis le numéro de novembre 2014 dans le mensuel Monthly Action. Série toujours en cours, 3 tomes sortis entre mai 2015 et octobre 2016.

Les personnages principaux : 
Mike Flanagan : Mike est canadien car le Canada a légalisé le mariage homo depuis 2005. Il s’est donc marié avec Ryôji mais ce dernier est mort de maladie. Il décide d’aller au Japon pour voir comment Ryôji avait vécu avant de partir au Canada.
Yaichi et Kana : Kana est la fille de Yaichi. Ce dernier est divorcé, sa femme travaille dans une autre région. C'est une sorte de rentier : il vit des ressources que lui apportent les locations d’un immeuble dont il a hérité. 

Le mari de mon frère (II)

Les points forts :
- Des personnages très attachants
- Une narration classique et claire
- Un propos didactique par l’exemple...
- ... et par de petits inserts
- Pas de clichés « yaoisants »
- Variations stylistiques
- Visites de lieux touristiques
- Des hommes musclés

Deux anecdotes :
Avec la scène de douche du premier tome 1, Tagame s'est amusé à la placer en se disant que ce serait comme la scène de douche de l'héroïne, passage obligé dans de nombreux mangas du Monthly Action (mais à destination d’un lectorat hétéro mâle). Et ça lui permettait de montrer un aperçu de son travail dans les supports gays. Il a fait attention de ne pas en faire trop.

Les défis graphiques de Tagame dans la série sont de dessiner des objets de tous les jours comme un aspirateur, ou de dessiner de façon précise des rues et des décors des lieux visités par les protagonistes, toutes choses qui ne sont pas toujours nécessaires dans un manga pornographique.