Mangaverse à Angoulême

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Le nombre de conférences, tables rondes, rencontres est tout simplement incroyable pendant les quatre jours du festival. Il est impossible d'assister à toutes les animations proposées et chaque jour demande à faire des choix, surtout que certaines sont situées loin les unes des autres du fait de l'étalement du festival dans la ville.

 

La conférence Le shôjo manga : histoire et analyse
 

ConférenceCette année, j'ai eu à nouveau l'occasion de passer de l'autre côté de la barrière pour me retrouver face au public. Pour cette conférence, il s'agit ici moins d'une transcription que d'une récriture du texte que j'ai réalisé lors de sa préparation.

En effet, pendant une grosse heure et demi, j'ai troqué ma casquette de mangaversien pour celle de responsable éditorial de la revue Manga 10 000 images afin de proposer un petit aperçu historique sur un genre assez mal maîtrisé par les lecteurs de mangas. Les idées reçues, les confusions et les approximations sont nombreuses dès que l'on parle du manga pour filles. C'est pour aider à mieux le comprendre que cette petite conférence est revenue sur les origines, les sources graphiques mais aussi thématiques qui ont fait du shôjo manga ce qu'il est aujourd'hui.

Cependant, avant d’étudier un peu ce qu’est le shôjo manga, il est nécessaire de le définir car une fois qu’on a dit que ça regroupe les mangas faits pour les filles, on n'est pas très avancé. Le terme shôjo (少女) signifie jeune (少) fille (女). En ce qui concerne le manga, cela correspond à peu près à la tranche d’âge de 6 à 18 ans, c'est-à-dire de l’entrée à l’école primaire jusqu’à la fin des études secondaires. Évidemment, on n’a pas les mêmes centres d’intérêt à 6, 12 et 18 ans et les éditeurs le savent bien. Le shôjo manga est donc très diversifié et sectorisé en fonction de tranches d’âge précises mais aussi de thèmes principaux. Il est évident qu’on parle là de cœur de cible et les frontières sont très poreuses et variables selon les personnes concernées.

ConférenceAu Japon, tout manga, sauf pour de rares exceptions, part d’une prépublication en magazine (mangashi) et c’est cette prépublication qui décidera le plus souvent de la classification du genre : shônen, shôjo, seinen (pour jeunes adultes), josei (pour jeunes femmes), etc. Les mangashi shôjo les plus connus sont Ciao, Nakayoshi, Margaret (même s’il s'est fait dépassé par les ventes de ses variantes comme Betsuma), Ribon et Hana to Yume mais il existe en tout plusieurs dizaines de titres différents. Ces magazines paraissent une ou deux fois par mois, en général. Ce sont les magazines pour garçons qui paraissent toutes les semaines comme les célèbres Weekly Shônen Jump ou Weekly Shônen Sunday.

En effet, le lectorat féminin est nettement moins important que son équivalent masculin. ConférenceLes tirages des mangashi shôjo n’ont rien à voir avec leurs homologues shônen. Là où le Ciao tire à 815 000 exemplaires, le Weekly Shônen Jump atteint les 2 800 000. Le deuxième plus grand tirage en magazine shôjo est le Nakayoshi avec ses 300 000 exemplaires alors que le deuxième en shônen est le Weekly Shônen Magazine avec 1 600 000 exemplaires. Rappelons que la population japonaise est actuellement d’un peu plus de 127 millions d’habitants dont 15,6 ont entre 6 et 18 ans. Les filles représentent un peu moins de 49% de la population dans cette tranche d’âge. La diffusion du shôjo manga est donc bien moindre au sein de la population japonaise que celle du shônen et elle se cantonne principalement à son cœur de cible. Là où vous verrez un adulte ou une fille lire le Jump du fils ou du frère, vous ne verrez jamais un garçon lire le Margaret, même si cela commence à changer petit à petit. En francophonie, de nombreux garçons lisent des shôjo sans s’en cacher et en avoir honte et un certain nombre de filles commencent le manga par le shônen.

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Au Japon, dès le début des années 1900, les éditeurs commencent à cibler les filles en leur proposant des magazines qui leur sont adressés. Les plus connus sont Shôjo kai (1902), Shôjo sekai (1906) et Shôjo no tomo (1908). Ce ne sont pas des magazines mangas même s’il y a un certain nombre d’histoires illustrées. La bande dessinée y fait réellement son apparition vers 1910, notamment sous la forme de yonkoma (bande dessinée en 4 cases) d’une page. Le manga prend petit à petit de l’importance au sein des magazines au point de remplacer pratiquement tout le reste. Notons l’arrivée de Shôjo Club en 1923 (son grand frère Shônen Club est né en 1914) où des mangas y sont prépubliés avant de sortir en volumes reliés, ce qui permet à la bande dessinée d’avoir un support indépendant à la presse et plus pérenne. La Seconde guerre mondiale donne un coup d’arrêt au développement de la bande dessinée et il faut attendre quelques années avant l’arrivée d’un nouveau magazine, Nakyoshi, en 1954 puis deux autres titres dédiés aux filles lancés par Shûeisha : Shôjo Ribon en 1955 puis Margaret en 1963 (suivi de ses déclinaisons). En effet, depuis le début des années 1950, les magazines de manga connaissent un engouement sans précédent et cela finit par se traduire par la création de nouveaux titres shôjo. Une des œuvres phares de l’époque est Princesse Saphir d’Osamu Tezuka en étant le premier shôjo de type story manga à connaître le succès. Il est publié une première fois entre 1953 et 1958 dans Shôjo Club, avant d’être réécrit pour Nakayoshi entre 1963 et 1968 après qu’une suite (Les Enfants de Saphir) fut prépubliée dans le même support en 1958-1959. Avant, le shôjo manga était surtout cantonné aux histoires courtes de quelques pages et aux yonkoma.

Le genre se développe, se segmente, se diversifie durant les années 1960-1970. Surtout, il se féminise. Pendant longtemps, les femmes sont restées cantonnées au rôle d’illustratrice dans les magazines shôjo, les mangas étant conçus par des hommes. Hideko Mizuno est une des premières femmes à percer dans ce métier. Elle débute en 1956 et connaît le succès notamment avec sa série Fire! parue entre 1969 et 1971. C’est la première série shôjo à succès qui met en scène un protagoniste masculin et va même jusqu’à mettre en scène une relation sexuelle, chose inconcevable à une époque où la plupart des personnages étaient des préadolescentes. L’amour, platonique, n’a fait massivement son apparition dans le shôjo que vers le milieu des années 1960. Il faut se rappeler que pendant longtemps, et pas seulement au Japon, la bande dessinée était considérée à destination des enfants, pas des adolescents et encore moins des adultes (en dehors des yonkoma de presse pour ces derniers). La libéralisation des mœurs venue de l’Occident, le vieillissement du lectorat féminin qui a donc de nouveaux centres d’intérêt, permettent aux éditeurs d’accompagner le mouvement et de proposer des histoires plus matures. C’est ainsi que durant les années 1970 un groupe d’auteurs féminins, connu sous le nom du groupe de l’année 24 (car elles sont presque toutes nées dans les environs de 1949, soit la vingt-quatrième année de l’ère showa), va introduire l’identité de genre, la sexualité et même des histoires d’amour entre garçons (ce qui donnera par la suite le yaoi). Les plus connues sont Moto Hagio, Keiko Takemiya et Riyoko Ikeda. Le shôjo manga moderne est né à cette époque. Dans les années 1980, il connaît le même développement commercial que son homologue masculin, même s’il est plus limité en volume, un nouveau genre apparaissant même : le josei. S’adressant aux jeunes femmes (16-24 ans), cette catégorie de manga est un peu le pendant féminin du seinen apparu un peu avant.

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Précisons qu’au Japon, le manga pour les jeunes femmes (16-17 ans et plus), appelé ici josei, est souvent assimilé au shôjo. Cette catégorie éditoriale est donc une construction un peu artificielle et principalement occidentale car, souvent, les éditeurs japonais ne la considèrent que comme une sous-catégorie du shôjo. Certains utilisent quand même le terme quand d’autres préfèrent utiliser la terminologie Ladies Comic pour parler des mangas pour femmes, mais dans ce cas, les lectrices sont souvent plus âgées, étant notamment des femmes au foyer. Il n’empêche que cette catégorie existe bien et qu'elle est reprise par certains éditeurs japonais. Le terme josei (女性) qui signifie littéralement féminin, est utilisé ici pour désigner les jeunes filles adultes. La tonalité des histoires est souvent différente des shôjo manga car les personnages sont plus âgés et sont confrontés à des problématiques de leur âge. Le genre est plus diversifié que ce qu’on peut en voir en France, où on a surtout pu lire les œuvres d'auteures issues du magazine Feel Young : Mari Okazaki avec Complément affectif, de nombreux titres d'Erica Sakurazawa comme Crash, Body & Soul ou Diamonds, les mangas d'Ebine Yamaji (dont Love My Life, Free Soul, Au temps de l’amour), Q-ta Minami avec Mlle Oishi, mais aussi Moyoko Anno avec Happy Mania ou l’atypique Un drôle de père de Yumi Unita. Le magazine Kiss est aussi représenté grâce à Kimi Wa Pet et les autres œuvres d’Ogawa et à Nodame Cantabile, un manga de Tomoko Ninomiya qui connaît un très grand succès au Japon.

Rappelons qu’il est parfois difficile et un peu artificiel de distinguer les magazines shôjo « matures » comme LoveMAX, où le sexe tient la plus grande place, souvent au détriment de l’histoire, de leurs homologues josei plus « classiques ». De toute façon, ces distinctions sont plus l’œuvre de personnes cherchant à catégoriser le manga, les lectrices japonaises n’en ont cure et les ignorent totalement.

ConférenceAprès ce rapide passage en revue de ce qu'est le manga pour filles, voyons plus en détail ce qu'il représente, notamment par le biais des stéréotypes qui lui sont rattachés. À quoi reconnaît-on un shôjo manga ? Un certain nombre de ses caractéristiques se sont transformées en stéréotypes dans l'esprit de nombreux lecteurs, à commencer par les grands yeux. Même ceux-ci ne sont pas une spécificité du shôjo, c’est dans ce genre qu’ils sont le plus présent et les « plus grands ». Mais d’où viennent-ils ?

Rappelons le principe de la néoténie en bande dessinée : la conservation de certains caractères de l’enfance provoquent un attachement, une attirance inconsciente et abstraite chez les humains, y compris envers les animaux. Un bon exemple est celui du Chat potté dans Shrek 2, qui rappelle le chaton lorsqu'il fait les grand yeux. ConférenceUtilisée en bande dessinée, cela provoque un sentiment de sympathie, crée une plus forte emprise sur le lecteur.Walt Disney a énormément utilisé ce principe, vraisemblablement de façon inconsciente, notamment pour distinguer les gentils des méchants et créer une sorte de plaisir, de désir même, pour ses personnages. Mais Disney lui-même n’a rien inventé car on peut trouver un usage de la néoténie dans l’art du XIXème siècle. Au Japon, c’est aussi le succès dans les années 1920 des illustrations de Yumeji Takehisa dont le style a été de nouveau popularisé après-guerre par Jun’Ichi Nakahara qui peut expliquer l’importance des grands yeux dans la culture shôjo. Il ne s’agit donc pas d’une invention d'Osamu Tezuka qui était grand amateur de Disney et connaisseur de l’imagerie née dans les magazines pour filles. Par son influence sur le style graphique des mangas des années 1950, Tezuka a surtout généralisé le phénomène.

Comme pour les grands yeux, il faut rechercher l’abondance de fleurs dans les shôjo manga dans les premiers magazines pour filles et principalement les illustrations des histoires qui y sont publiées, notamment, toutes celles que l’on peut regrouper sous le terme de style jojô-ga. Les illustrations de ce type ont été créées par Yumeji Takehisa. ConférenceIl s’agit d’un style graphique très influencé par l’Art nouveau qui mélange réalité et fiction afin de créer une image idéalisée de la jeune fille japonaise (innocence, pureté, naïveté, fragilité) en donnant une grande importance aux détails et aux fioritures, notamment au niveau des vêtements et des accessoires. Les motifs floraux y ont une grande importance. En effet, l’Art nouveau a influencé un certain nombre d’artistes et architectes japonais qui sont allés en Europe et qui ont diffusé ce style une fois revenu au Japon. Cela n’est pas surprenant tant l’Art nouveau est lui-même influencé par l’esthétique japonaise et le japonisme. Si on compare un illustrateur européen comme Alfons Mucha et un japonais comme Kashô Takabatake, on ne peut qu’être frappé par les ressemblances. On retrouve aussi cette influence dans un manga moderne comme At Laz Meridian comme le montre la planche projetée. Cependant, les exemples abondent et il suffit d’ouvrir un manga de type shôjo pour tomber rapidement sur un arrière plan fleuri.

ConférenceUn autre stéréotype est celui de la romance. La majeure partie des shôjo manga publiés en français sont des histoires romantiques se passant au lycée. Ce genre d’histoire est effectivement très présent dans les magazines japonais mais il est loin d’être le seul. Ce type de récit trouve ses racines au début du XXème siècle, notamment dans les traductions de romans occidentaux pour jeunes filles mais aussi dans les histoires publiées dans les premiers magazines pour filles. Citons par exemple Hana monotogari qui est un recueil de courtes histoires publiées dans le magazine Shôjo Gaho entre 1916 et 1924 et qui a connu un très grand succès auprès des lectrices. C'est ainsi que de nouveaux thèmes apparaissent dont la romance, la famille aimante et le sentimentalisme, des notions plutôt absentes dans la littérature japonaise. Surtout, on y trouve une expression du désir chez des filles japonaises et non plus des Occidentales. Très rapidement, ces œuvres connaissent un grand succès et sont intégrés dans une littérature féminine à destination des écolières, créant avec d’autres éléments une culture spécifique, appelée shôjo bunka. C’est donc tout naturellement qu’on retrouve la romance abondamment traitée dans les mangas shôjo d’après-guerre. Son développement est particulièrement important dans les années 1960 et surtout 70 sous l’impulsion d’auteurs féminins de mangas. Un sous-genre du shôjo fait son apparition, le shônen-ai, c'est-à-dire l’amour entre garçons, ce qui donne ensuite le boys love, plus connu en Occident sous le terme de yaoi

ConférenceAu Japon, travestissement et homosexualité sont souvent liés. Pourtant, le travestissement, que l’on retrouve dans des titres comme Princesse Saphir, La Rose de Versailles, Utena, la fillette révolutionnaire, Parmi eux, L’Infirmière après les cours, etc. connaît un traitement plus subtil et est devenu un grand classique du shôjo manga. On peut penser que le thème trouve ses racines dans une longue tradition théâtrale japonaise : le kabuki mais surtout le takarazuka, une troupe de théâtre composée uniquement de femmes qui jouent tous les rôles, y compris masculins (otokoyaku). La troupe existe depuis 1913 et le public est essentiellement féminin. Son succès peut être vu comme une échappatoire à l’idéal du ryôsai kenbo (être une bonne épouse et une mère avisée) qui enfermait les femmes dans un rôle unique depuis sa mise en place par le gouvernement entre 1890 et 1910. On ne peut pas non plus négliger que le flou ainsi créé dans la définition des genres biologiques et sociaux, y compris sur le plan sexuel, ait pu jouer dans le succès jamais démenti de la revue et, plus généralement, du thème du travestissement dans le manga. Si la série Princesse Saphir est une digne héritière du takarazuka, les remises en cause du genre féminin semblaient être loin de l’esprit de Tezuka lorsqu’il a créé le titre pour le magazine Shôjo Club en 1953 et permis au travestissement et à l’androgynie de connaître un grand succès auprès des (très) jeunes filles de l’époque. Transformer l’héroïne en homme était peut-être surtout pour lui un moyen de faire un manga pour filles avec les recettes qu’il connaissait.

La Rose de Versailles est une autre étape importante dans le développement du travestissement dans le manga. Créé en 1972 par Ryoko Ikeda, ce manga met en scène Oscar, une fille élevée comme un homme par son père désespérant d’avoir une descendance mâle et devenu capitaine de la garde royale afin de veiller sur la dauphine Marie-Antoinette. La féminité d’Oscar n’est pas niée, n’est pas cachée et cela permet à la mangaka de mettre en évidence certains questionnements que peuvent se poser ses jeunes lectrices sur leur rôle imposé par la société japonaise ou sur l’amour. Plus récemment, le succès d’une série comme Parmi eux montre que le thème du travestissement continue à plaire, même à une époque où les carcans sociaux ont grandement disparus au Japon. Publié entre 1997 et 2004 dans le bimensuel Hana to yume, le manga nous raconte l’histoire de Mizuki, une jeune fille de 16 ans qui est allée jusqu’à se travestir en garçon pour être à côté du garçon qu'elle idolâtre. Néanmoins, le thème du travestissement est là plus l’occasion d’amuser les lectrices pendant les 23 tomes de la série que de poser des questions sur le rôle sociétal des filles ou leur sexualité. C’est un peu le cas des autres shôjo manga utilisant le travestissement qui ont été traduits en français ces dernières années. Tout sauf un ange !! est un cas plus rare car le garçon se travestit en fille alors qu’habituellement, c’est l’inverse. Le thème du travestissement, qui ne concerne pas l’héroïne mais le personnage masculin principal, permet à l’auteure de mettre en évidence certaines difficultés de l’adolescence tout en restant sur un registre humoristique.

ConférenceEnfin, le dernier stéréotype à être abordé ici concerne la narration. Les conventions iconographiques et la mise en page diffèrent notablement entre le shôjo et le shônen. Souvent, les lecteurs de bande dessinée (franco-belge ou de mangas shônen) trouvent les mangas shôjo risibles à cause des grands yeux en soucoupe des filles et des corps longilignes, irréalistes. Ils n’arrivent pas à lire les pages à cause des cases souvent imbriquées les unes dans les autres, des changements de plans nombreux ainsi que des textes hors bulle assez fréquents, sans parler de toutes les fioritures comme la présence quasi-constante de motifs floraux ou le manque de rigueur apparent dans l’agencement des cases. C’est malheureusement oublier que ces spécificités sont surtout là pour permettre une meilleure identification aux personnages en cherchant à capter émotionnellement les lectrices. Le shôjo manga est réputé pour donner la primauté au développement psychologique des personnages et la narration va dans ce sens. Les nombreux gros plans ou plans tailles, entrecoupés de corps en plein champ, voire de très gros plans amplifient les pensées et les émotions des personnages. Ainsi, l’identification, l’implication de la lectrice est augmentée. Une autre difficulté vient du sens de lecture. Si la plupart des cases sont agencées afin d’être lues de haut en bas puis de droite à gauche, certaines mises en pages se lisent en suivant un sens en forme de S ou une diagonale. En effet, l’effet recherché en cassant le flot de la narration est de créer un choc et de permettre de mieux appréhender l’atmosphère du moment, les émotions ou les pensées du personnage, etc. La spatialisation de la narration a été développée et institutionnalisée principalement par Shôtarô Ishinomori par le biais de ses mangas et de ses méthodes d’apprentissage sorties dans les années 1970. C’est peut-être dans les mangas de type shôjo que ce jeu sur la mise en case et en page s’est le mieux exprimé.

ConférencePour conclure, voyons quelques mangas traduits en français sortant des sentiers battus. Si le paysage éditorial francophone du shôjo est dominé par le manga sentimental, certains éditeurs ont su nous proposer des œuvres atypiques, tellement différentes des idées préconçues que l’on a sur le genre que beaucoup de lecteurs n’imaginent pas un instant qu’ils sont en train de lire un manga publié à destination d’un public féminin. Malheureusement ces titres n’arrivent pas à trouver leur public alors qu’ils sont bourrés de qualités.

Banana Fish est considéré comme un des shôjo manga qui ont le plus marqué plusieurs générations de lectrices. Prépublié entre 1986 et 1994 dans le magazine Betsucomi, ce titre se révèle être un thriller mâtiné d’amours et de haines entres hommes. Loin des canons du genre, il propose une aventure débridée où les femmes sont absentes. Basara est un autre shôjo d’aventure. L’héroïne, Sasara, est obligée de prendre la place de son frère, tué par la famille régnante et va prendre la tête d’une révolution populaire. Vengeance, amour, trahisons, alliances rythment une saga comme on en lit peu grâce à une narration et des situations complexes. Il est lui aussi paru originellement dans Betsucomi entre 1991 et 2000. Onmyôji propose une tonalité totalement différente. À l’origine publié à partir de 1994 chez Scholar, un éditeur disparu, le titre a continué en 1999 chez Hakusensha dans le magazine Melody avant de s’achever en 2005. Il s’agit d’un manga historico-philosophico-fantastique où les onmyôji, des magiciens spécialisés dans la divination et la protection contre les forces démoniaques, sont confrontés à un monde invisible à ceux qui ne veulent pas le voir. Toujours dans le domaine du shôjo fantastique, très riche au Japon, le titre Shiori et Shimiko propose une approche plus humoristique que philosophique du monde de l’étrange. Shiori et Shimiko, deux jeunes filles, sont constamment confrontées à des forces surnaturelles et s’en sortent toujours avec un flegme constant. Un petit bijou d’humour réalisé par un auteur masculin, ce qui est devenu assez rare de nos jours, ce shôjo manga est toujours en cours au Japon mais paraît de façon discontinue depuis 1996 dans Nemuki, un magazine spécialisé dans le fantastique et l’étrange.

Herbv

 

 


Le Fauve © Lewis Trondheim / 9ème Art+
Crédits photos : herbv, manuka

 

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