Hérissey

Début novembre, j'ai eu la chance de pouvoir visiter la principale imprimerie européenne dans le domaine du manga. C'est l'occasion pour Mangaverse de vous proposer un reportage photographique expliquant et montrant les différentes étapes de la fabrication d'un manga, de la réception du fichier informatique à la mise sur palette.
Le groupe CPI et l'imprimerie Hérissey

CPICPI est un groupe européen regroupant de nombreuses imprimeries spécialisées dans le livre monochrome, le livre couleur et le magazine implantées dans cinq pays (Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, France et République Tchèque), ce qui représente plus de vingt sites de production dont six sont situés dans l'Hexagone. Deux sont concernés par la fabrication de mangas : Aubin Imprimeur et Hérissey. Le groupe réalise un CA de 430 millions d'euros (80 pour CPI France), compte 3 600 salariés (850 en France) et imprime chaque année 525 millions de livres (200 millions pour la branche française). Le siège social de la filiale française est situé en Région parisienne, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) pour être précis.

HérisseyL'imprimerie Hérissey, située à Évreux dans l'Eure, existe depuis 1790. Actuellement, elle propose de l'impression monochrome et en deux couleurs. Elle possède six machines offset (rotative et feuille) dont une est dédiée à l'impression couleur des couvertures et des jaquettes. Depuis quelques années, elle s'est particulièrement développée sur le marché du manga. En effet, d'importants investissements ont été réalisés afin d'adapter le four de son Optiprint aux caractéristiques techniques des mangas et de faire fabriquer une jaquetteuse automatique. Grâce à son assembleuse Corona 15 postes, elle peut produire très rapidement un important volume de mangas. La liste des éditeurs francophones faisant appel à ses services est assez conséquente : Asuka, Doki-Doki, Glénat, Kana, Kurokawa, Milan, Tonkam, etc. Hérissey est la principale imprimerie de manga en Europe, activité qui représente plus de 32% de son chiffre d'affaire.

Le principe de l'impression offset

Principe de l'offsetL'impression offset est l'une des quatre grandes techniques d'impression des livres avec l'héliogravure, l'impression typographique et le numérique. Elle est la plus utilisée pour de nombreux types de travaux allant de la carte de visite aux livres en passant par les journaux, les emballages et même les timbres. Elle repose sur une technologie dérivée de la lithographie. Cette dernière est née en Allemagne à la fin des années 1790 alors que le terme a été inventé en France en 1850. C'est en 1906, suite à une découverte accidentelle, que l'offset est né aux Etats-Unis. Il s'est développé durant les années 1950 au point de devenir la technique d'impression la plus répandue.

À la différence de l'héliogravure ou de l'impression typographique (ainsi que flexographique), l'offset n'utilise pas une surface avec des formes en creux ou en relief pour déposer l'encre sur le papier. Il s'agit d'une technologie utilisant une surface plane traitée chimiquement pour être sensible à l'encre. Elle repose sur un procédé fondé sur la répulsion entre l'eau et l'encre (qui est ici un corps gras). Depuis 1977, il existe une variante sans mouillage (waterless) qui utilise du silicone à la place de l'eau.

L'impression offset utilise une plaque sur laquelle a été gravée, selon un principe photomécanique, l'image à imprimer. La partie devant attirer l'encre (lipophile) est en cuivre alors que la partie qui ne doit pas être imprimée, devant donc être hydrophile, reste en aluminium. Cette plaque, appelée forme imprimante, est placée ensuite sur un cylindre rotatif qui est successivement mouillé puis encré. L'encre est ensuite reportée sur un autre cylindre appelé le blanchet puis de celui-ci au papier. Ensuite, le papier passe au séchage dans un four avant d'être refroidi puis découpé et plié. C'est l'ajout du blanchet entre la forme imprimante et le cylindre contre pression qui est la principale différence entre la technique d'impression offset et la lithographie. Son apport est multiple : en servant de forme imprimante secondaire, il permet à la plaque de s'user moins vite, et donc de réaliser des tirages plus importants. Ensuite, il protège le papier de la solution de mouillage (un mélange d'eau et d'additif qui mouille les zones non imprimantes de la plaque). Enfin, grâce à une certaine élasticité, il transfère mieux l'encre sur la surface du papier que ne le ferait la plaque.

Le prépresse
CTP Creo
Avant de commencer à imprimer un manga, il y a une étape indispensable à réaliser, celle que l'on appelle le prépresse. Ce terme désigne tout le travail réalisé avant l'impression proprement dite. Les éditeurs se chargent de réaliser les maquettes du livre, de la couverture et de la jaquette. Auparavant, ceux-ci envoyaient un cédérom avec les fichiers numériques réalisés sous XPress ou InDesign (les deux principaux logiciels de Publication Assistée par Ordinateur), ainsi que les polices de caractères et toutes les images au format TIFF. Maintenant, la plupart du temps, ils réalisent un fichier PDF dit "sécurisé" et contenant l'intégralité des informations dont l'imprimeur va avoir besoin. Ce fichier est envoyé par cédérom ou par téléchargement via Internet. L'imprimeur le vérifie, procède au RIP des fichiers (interprétation des données dans le langage de la photocomposeuse) et réalise le cromalin (dorénavant numérique et non plus créé à partir d'un film) qui permet de vérifier qu'il n'y a aucun problème et que le résultat est conforme aux attentes. C'est ce qu'on appelle le BAT (bon à tirer). Une fois celui-ci approuvé par l'éditeur, parfois après quelques allers-retours afin d'effectuer des dernières corrections, on passe au flashage : l'imprimeur va graver la plaque (selon la technique appelée CTP, en opposition à CTF où on utilise un film pour réaliser l'insolation) qui servira à réaliser la forme imprimante. Ici, on peut voir la tireuse de plaque CTP Creo de l'imprimerie Hérissey.
La presse offset rotative
Optiprint
Optiprint
Pour fabriquer ses mangas, Hérissey utilise une presse offset Optiprint qui peut imprimer en deux couleurs recto-verso grâce à la présence de cinq groupes d'impression. Il s'agit d'une rotative, c'est-à-dire que le papier se présente sous la forme d'une énorme bobine qui se trouve à une extrémité de la presse. Les dimensions de l'ensemble sont pour le moins impressionnantes : outre le porte-bobine, il y a la partie impression, à laquelle il faut ajouter le four qui sert au séchage, puis, en fin de chaîne, la partie refroidissement puis de découpage / pliage et enfin, la console de contrôle. Ci-dessus à droite, on peut voir une photo d'ensemble d'un groupe d'impression prise au fish-eye. Une personne tient facilement à l'aise à l'intérieur. Ci-dessous à gauche, on voit très bien le cylindre sur lequel se trouve la forme imprimante. Les photos suivantes montrent l'entrée dans le four de séchage, l'extérieur de celui-ci et la sortie du papier. Le four de séchage a été rallongé afin d'adapter la presse aux exigences du manga, ce qui permet d'avoir des aplats noirs bien saturés (la plupart du temps, du moins).
Plaque
Optiprint
Four de séchage
Optiprint
Optiprint
Optiprint

Sur ces deux photos prises au fish-eye, nous pouvons voir le poste de contrôle avec la vérification en cours de plusieurs mangas. Si vous trouvez quelques planches de Genshiken mélangées à Yotsuba!& et Les petites fraises, ne soyez pas surpris...

Concernant le papier utilisé par Hérissey pour les mangas, il en existe deux types : le papier offset 90 gr. avec ou sans bois, plutôt blanc (blancheur ISO de 90), que l'on trouve surtout chez Glénat, et le 70 gr. avec bois, donc plus fin et plus jaune (sa blancheur ISO est de 76). La différence de qualité se fait sur trois critères : opacité, porosité et blancheur. L'opacité doit être suffisamment élevée pour permettre une impression recto-verso sans que le papier ne laisse transparaître l'autre face, du fait d'une trop grande translucidité. Malheureusement, c'est un problème récurrent chez certains imprimeurs non spécialisés en manga. La porosité est la capacité d'absorption du papier. S'il est trop poreux, cela se traduit par des images altérées, s'il ne l'est pas assez, l'encre va rester à la surface et finir sur vos doigts (rappelons-nous que cette encre est un corps gras). Enfin, la blancheur est très variable d'un papier à l'autre. Celle-ci est obtenue par la destruction plus ou moins grande de la lignine (il s'agit d'un des principaux composés du bois avec la cellulose) et par la décoloration à l'aide de produits chimiques. Le chlore, longtemps utilisé pour cela, est de plus en plus remplacé pour des raisons écologiques.

Les presses offset feuille
Jaquettes
Couvertures
Les jaquettes et les couvertures sont réalisées sur d'autres machines. Les premières sont imprimées sur une Komori cinq couleurs (quadri plus une couleur) alors que les secondes sont fabriquées sur une Marinoni 1 + 1 couleur. Dans les deux cas, il s'agit de presses offset feuille. C'est-à-dire que le papier provient d'une pile de feuilles et non pas d'une bobine. Cette technologie permet l'usage de papiers plus forts. Les jaquettes sont réalisées sur du papier couché 115 gr. qui sera pelliculé alors que les couvertures utilisent de la carte une face 240 gr.
Komori
Marinoni
Ce qu'il y a de bien avec ces longues machines (à gauche la Komori servant à faire les jaquettes, à droite, la Marinoni servant à fabriquer les couvertures), c'est qu'on peut s'amuser à les tordre grâce au fish-eye.
CosplayPour en finir avec les presses offset, même s'il s'agit d'une rotative, on peut voir sur la photo de gauche une des deux Timson de l'imprimerie Hérissey, mais elle ne sert pas pour les mangas. C'est impressionnant mais moins que la presse typo Cameron que j'ai eu l'occasion de voir dans l'après-midi chez Firmin Didot (une autre imprimerie du groupe CPI).
Le façonnage
Une fois que c'est imprimé, il s'agit d'assembler le tout. Je n'ai malheureusement pas pu voir de manga sur la chaîne d'assemblage et de brochage, ou de finition, il faudra se contenter d'un livre sur Windows Vista à la place. Au début, un manga, ça ressemble à une pile de papier. Il est nécessaire de plier puis d'assembler tous les cahiers (un ensemble de pages résultant du pliage en deux, quatre, huit ou seize d'une feuille imprimée), ce qu'on appelle l'assemblage (ou l'encartage selon le type de reliure souhaité), de les massicoter sur trois côtés (on coupe le papier inutile), de les brocher (les relier, donc) et de finir avec la pose des jaquettes. Toutes les photos ci-dessous sont prises au fish-eye (comme on peut s'en douter). On voit à gauche un des ouvriers de l'usine en train de massicoter des piles de couvertures du livre La culture générale pour les nuls. À droite, il s'agit d'une des plieuses de l'imprimerie. En dessous, à gauche et à droite, on peut voir des piles de cahiers attendant d'être façonnés.
Massicot
Ankama
Cahiers
Cahiers
Voir l'assembleuse Corona fonctionner est quelque chose d'assez impressionnant. Il faut dire qu'elle occupe de la place dans l'imprimerie. Son rôle est d'assembler, de brocher et même d'emballer les ouvrages.
Corona
Corona
Corona
Corona
Seul un objectif très grand angle peut embrasser d'un coup la longueur de cette chaîne d'assemblage et rendre son gigantisme :
Corona
PES 2008
Corona
Corona
Il ne reste plus grand-chose à montrer si ce n'est ce détail de la pelliculeuse et une photo au fish-eye des couseuses Aster, ayant raté mes photos de la jaquetteuse, ce qui est regrettable car c'est une spécificité de l'imprimerie Hérissey.
Pelliculeuse
Couseuses

La pelliculeuse réalise le pelliculage de la couverture ou de la jaquette. Cela consiste à appliquer sur le papier une couche de polyester collée sur toute sa surface, un cylindre chauffé la faisant adhérer. Il existe des pelliculages brillant (le plus courant) mais aussi mat et même satiné. Actuellement, le fin du fin est d'appliquer des vernis sélectifs afin d'avoir à la fois un rendu mat sur certaines parties de la jaquette alors que d'autres sont brillantes. Hérissey ne possède pas de vernisseuse mais on ne doit pas le regretter étant donné que le vernissage protège moins le papier que le pelliculage.

Le cousage est une forme de reliure. Généralement, les mangas sont brochés en dos carré collé sans couture, c'est-à-dire que le côté des pages non massicoté est raboté afin que la colle adhère mieux et les cahiers sont assemblés les uns sur les autres avant d'être reliés ensemble, la couverture venant recouvrir le tout. S'il y a une couture, l'assemblage se fait par encartage : les cahiers sont mis les uns dans les autres avant d'être cousus ensemble, ce qui permet une reliure bien plus résistante aux lectures multiples. Mais c'est une technique qui revient plus cher et elle est donc réservée aux ouvrages plus luxueux.

Et c'est terminé
Une fois façonnés, les mangas n'ont plus qu'à être jaquettés. Pendant longtemps, cette opération se faisait à la main mais Hérissey a fait fabriquer une jaquetteuse correspondant à ses besoins afin d'automatiser cette tâche. Sur les deux dernières photos, vous pouvez voir des piles de Hana Yori Dango attendant leur jaquette puis une palette se remplissant petit à petit de paquets de 10 mangas.
Hana Yori Dando
Hana Yori Dando

Voilà, c'est terminé. J'espère que vous avez eu plaisir à parcourir ce reportage photo sortant un peu de l'ordinaire. À ce titre, je tiens à remercier chaleureusement Gilles Mure-Ravaud, directeur des ventes et du développement de CPI France, pour son invitation et ses explications ainsi qu'André Perrotey, directeur de Hérissey, pour son accueil et ses précieuses indications.

Quelques liens m'ayant servi pour contrôler l'état de mes connaissances et parfaire mon vocabulaire spécialisé :
- Plusieurs dossiers du site du magazine Caractère,
- Les dossiers techniques du site CERIG de l'INP-EFPG de Grenoble,
- L'article prépresse du site Génér@tion.IG
- Le glossaire des termes de l'imprimerie, ici, sur le site de Imprimerie Normalisée,
- Le guide pratique du site Oceany.com.

Merci une fois de plus aux deux Manu pour leur relecture. Crédits photos : Herbv.