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Entretien avec Ji Di

 

Entretien avec Ji DiÀ l’occasion de la huitième édition de la Japan Expo, Ji Di, jeune auteure de bande dessinée, est venue présenter le deuxième tome de sa série, My Way, publiée en francophonie chez Xiao Pan. Très célèbre dans sa contrée natale (qui est aussi la mienne), la Chine, elle fait un malheur avec ce premier titre qui est déjà un best-seller. J’ai eu l’honneur et le plaisir de la rencontrer pour un entretien. Vive d’esprit et pleine d’humour, Ji Di est une personne réaliste dans sa vision de la vie, mais n’oublie pas de rêver pour autant. Nous avons passé un agréable moment à parler de son oeuvre, de ses voyages, et aussi de son opinion du marché de la bande dessinée et tout particulièrement du manhua(1). Ce fut une discussion très enrichissante, notamment grâce aux nombreuses interventions de son éditrice(2) chinoise, Tree, qui nous a accompagnées tout au long de l’entretien.

Beanie (B) : Bonjour Ji Di ! Je viens de la part de Mangaverse, un site français très connu en matière de mangas. Merci de m’accorder un peu de ton temps pour cet entretien. Pour commencer, peux-tu te présenter aux visiteurs de Mangaverse ?

Ji Di (J) : Bonjour à tous ! Je suis Ji Di, dessinatrice chinoise de manhua. C'est ma première tournée de promotion en France, et je m’en remets à votre bienveillance(3).

My WayB : Merci. Le premier tome de My Way, que voici, est ta première œuvre, n’est-ce pas ?

J : Oui, c'est mon premier livre. Seulement, il s’est passé quatre ans déjà depuis sa sortie. Aujourd’hui, j’ai déjà fini le quatrième tome de cette série.

B : Des années ont passé depuis, jusqu’à la sortie de la version française que voici. Maintenant que tu revois ta première publication, que ressens-tu ?

J :Cela constitue une étape de ma vie. Nous pensons différemment lors des multiples étapes de notre vie. À l’époque, mes idées étaient plus simples et plus naïves. En m’avançant dans la vie, elles sont devenues plus matures. Je pense qu’à chaque étape de la vie, il y a du bon et du moins bon. À cette époque-là, ma technique graphique n’était pas aussi bonne, ni aussi mature que maintenant ; mes histoires n’avaient pas encore acquis une certaine profondeur.

B : Étant une dessinatrice de la nouvelle génération chinoise, que considères-tu comme ta plus grande qualité et ton plus grand défaut ?

J : Ma plus grande qualité et mon plus grand défaut ne font qu’un : c’est-à-dire ma jeunesse. L’avantage d’être une jeune créatrice, c’est que je peux apprendre beaucoup de nouvelles choses. De plus, je m’adapte facilement à celles-ci, ce qui me permet d’apporter une perspective nouvelle et rafraîchissante dans mon expression. Le désavantage d’être si jeune dans ce métier, c’est qu’il me manque une base solide en terme de techniques graphiques. De fait, il me reste beaucoup de progrès à accomplir et mes idées sont encore assez puériles. Ce n’est pas le cas, par exemple, des vieux auteurs de bandes dessinées françaises qui ont une vision tranchée du monde, alors que la mienne n’est peut-être pas aussi mature du fait de mon jeune âge. D’un autre côté, je trouve cela très enthousiasmant, car c’est justement mon ignorance, pourrait-on dire, qui rend ce que je vois intéressant à mes yeux.

Arrivée de TreeJ : Et voici mon éditrice qui vient voir si je ne raconte pas de bêtises.

Tree (T) : Continuez, je suis invisible.

B : Au commencement, qu’est-ce qui t’a poussé à dessiner ? Quelle était ta motivation pour « prendre le pinceau » ?

J : On peut dire que ma motivation première est de pouvoir gagner ma vie. Je veux pouvoir dessiner sans avoir besoin de faire autre chose. Mais je ne veux pas pour autant mourir de faim (Rires). En fait, ma réelle motivation est surtout de pouvoir m’exprimer plus. Si je peux éviter de mourir de faim tout en faisant ce que j’aime, cela sera déjà très bien (Rires).  

B : En effet, tu as dis dans un précédent entretien que ton plus grand rêve dans la vie serait de pouvoir vivre sans contrainte, dans l’abondance, et de dessiner toute ta vie. Peux-tu dire maintenant avoir réalisé ton rêve ?


J : Je pense que là où j’en suis, actuellement, ce n’est pas mal. Cependant il y a encore beaucoup de choses à apprendre sur la route de la création. Ce voyage en France, en particulier, a été pour moi comme une renaissance, c’est-à-dire comme si je ne connaissais rien du monde. Je pense donc avoir encore une longue route à faire.

B : Quelle est ta plus grande trouvaille de ce voyage ?

J : Ma plus grande trouvaille, c’est que j’ai pu voir à quel point la création de bandes dessinées peut se concevoir de tant de façons différentes. J’ai appris que beaucoup d’artistes de BD françaises ont, en fait, reçu une formation très professionnelle en dessin, alors que les auteurs de mangas n’en ont pas au Japon. Pour la première fois, j’ai constaté à quel point il peut y avoir de l’art épuré dans une bande dessinée et j’ai trouvé cette idée très excitante. J’ai aussi été très impressionnée par la grande imagination des vieilles BD françaises. Je me suis alors trouvée trop ignorante car je ne connaissais rien de tout cela.

InterviewB : Je pense que le marché chinois est très différent du marché à l’étranger. C’est pour cela que l’attente des lecteurs est différente en Chine qu’ailleurs.

J : Il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour lire des bandes dessinées françaises, parce qu’on n’en importe pas. Je souhaiterais particulièrement pouvoir lire le français.

B : La Japan Expo, à laquelle tu participes ici, se vante d’être la plus grande convention européenne en matière de culture asiatique. Que trouves-tu de différent dans cette convention comparée à celles organisées en Chine ?

J : Les conventions de bandes dessinées asiatiques en France semblent plus ciblées vers un public de jeunes et d'adolescents, et la moyenne d’âge paraît plus élevée. Seulement, en Chine, il y a une notion réductrice de la bande dessinée, jugeant que c’est destiné aux enfants. Les conventions chinoises équivalentes à celle-ci sont aussi très grandes, même plus qu’ici. En revanche, elles donnent l’impression d’abaisser la moyenne d’âge en visant un public d’enfants de moins de dix ans. C’est un problème conceptuel. Avec le temps, petit à petit, on comprendra que la bande dessinée doit être pour des enfants plus âgés. Donc, la plus grande différence est la démarcation des tranches d’âge.

B : En fait, je trouve qu’un des grands avantages du marché français est que le public a été exposé assez tôt aux mangas, comme ceux qu’on qualifie de bandes dessinées immatures pour enfants en Chine. Cela s’est passé dès les années 1980. Quand cette génération du public a peu à peu grandi, elle est devenue adulte et est restée consommatrice. Il faudrait donc faire évoluer tout doucement les préjugés.

J : Oui, la génération chinoise de lecteurs doit encore grandir. En plus, les dessins animés et les jeux vidéo sont plus populaires en Chine. Relativement à d’autres médias et aussi dans l’absolu, les manhuas ne représentent qu’une très petite partie de la production culturelle.

Comic FanB : Je me souviens que quand j’étais plus jeune, je lisais beaucoup le magazine Comic Fans(4). D’ailleurs, j’en ai encore bon nombre de leurs anciens numéros chez moi.

J: Justement, mon éditrice travaille chez Comic Fans. C’est là qu’est sortie la version chinoise de My Way. Elle n’en a pas l’air, mais c’est l’éditrice la plus ancienne chez eux. Alors qu’elle n’était pas encore sortie de l’université, elle travaillait déjà tout en poursuivant ses études. Elle est très forte ! En réalité, c’est elle qui s'occupe du design et du suivi pour les publications chinoises de quelques-uns des meilleurs auteurs de manhua, comme Ruan Yunting(5), Benjamin(6) ou Yao Feila(7).

B : Enchantée ! Vous avez vraiment l’oeil pour dénicher ces perles rares. Votre magazine mérite largement sa réussite retentissante qui est à la hauteur de ses grandes ambitions originelles. En plus, cela s’améliore d’année en année. Je sais que beaucoup d’auteurs se sont faits connaître par le biais de votre magazine et vous avez sûrement beaucoup contribué à cela.

J : À l’époque, leur boss avait vu mon livre et avait demandé : « Est-ce que ça se vendrait ? ». Elle a répondu : « oui, cela se vendrait certainement ».

B : D’ailleurs, parmi les magazines de bande dessinées en Chine, Comic Fans est le mieux réussi et jouissant du plus grand succès.

J : C’est aussi le seul qui a survécu. Il y a quelques temps, le marché chinois a subi comme un grand nettoyage. Beaucoup de publications se sont arrêté, comme Beijing Comic(8) et Youth Comics(9) parce qu’ils ne pouvaient plus supporter les coûts de production.

B : À l’avenir, penses-tu qu’il faudra copier en Chine le style japonais pour la création et la publication des bandes dessinées, c'est-à-dire être publié en premier dans des magazines avant de pouvoir sortir des tomes reliés ?

JiDi J : Oui, la Chine en a grandement besoin. Nous avons besoin de combler l’énorme vide en matière de magazines de manhua qui puissent publier différents genres de bandes dessinées. Il y a actuellement un assez grand problème en Chine : les auteurs de BD n’ont que très peu d’opportunités pour s’épanouir et faire grandir leur talent. Ou bien, dès le début, tu es déjà un très, très bon auteur, car il faut se rappeler que Comic Fans reste malgré tout un magazine spécialisé et n’est pas un produit issu de la culture de masse. De ce fait, l’espace consacré au manhua est très restreint. Ce n’est pas de leur faute, mais c'est lié au fait que c’est un métier à risques que de faire de la bande dessinée d’auteur en Chine. Et comme il n’y a que très peu de place pour la publication de séries de manhua dans Comic Fans, les éditeurs ne peuvent que choisir les meilleurs auteurs et publier les meilleures œuvres. Alors, pour ceux qui se retrouvent au milieu (c’est aussi pour ça qu’on dit qu’il n’y a que des auteurs de premier et de second ordre en Chine), ils ne leur manquent peut-être que peu de chose pour percer. Si on leur donnait une chance, ils pourraient un jour devenir de grands dessinateurs.  Cela s’est passé ainsi pour moi à l’époque : j’ai bénéficié d'une telle chance me permettant d'évoluer vers une plus grande maîtrise dans mon trait. Eux aussi, ils ne demandent qu’à avoir cette chance pour s’améliorer, mais il en manque en Chine, ce qui est extrêmement dommage.

B : C’est en effet un grand regret. Dans le marché français aussi, ils essaient de promouvoir les jeunes auteurs, en particulier ceux qui ont un trait plus proche du style de mangas japonais.

J : J’ai l’impression qu’on est plus tolérant envers la bande dessinée en France. A contrario, en Chine, ils acceptent plus facilement un style shôjo(10) dans le manhua, alors qu’il y a aussi une partie des dessinateurs qui ont, en fait, une très bonne base artistique et un style plus personnel. C’est le cas de Deo.R(11), un auteur de chez Xiao Pan, qui dessine très bien. Justement, c’est parce qu’il leur manque une chance pour s’épanouir en Chine que les œuvres de ces auteurs sont tout d’abord publiées en France. On finit par retrouver plus de ces divers manhuas non-conformistes publiés en France. En Chine, les auteurs publiés, comme Ke Xin(12) ou Yao Feila, sont déjà des auteurs établis et ils peuvent produire des œuvres continuellement.

B : Le marché chinois a peut-être plus d’exigences pour le côté commercial du manhua, alors que cela peut restreindre la liberté de l’artiste dans sa création.

J : Sur ces points, tu devrais en discuter avec mon éditrice. Je suis une dessinatrice, donc je ne pourrais pas être aussi objective.
TreeT : Le principal problème est que le marché chinois de la bande dessinée n’est pas encore assez épanoui. La situation vient de s’améliorer quelque peu dernièrement, mais je pense qu’il y a encore au minimum dix ans de chemin à faire pour arriver à la phase supérieure. En fin de compte, il n’y a que très peu d’organismes professionnels de publication pour la BD en Chine continentale, Comic Fans étant un des seuls...

B : Même le seul en fin de compte.

T : Je souhaite qu’il y ait, en plus de Comic Fans, beaucoup d’autres bons éditeurs de bandes dessinées, qui publieront différents genres de manhuas et pas uniquement des histoires pour enfants. De même que pour Comic Fans, à l’avenir, il y aura une diversification des genres, comme du shônen(13) ou des albums illustrés(14).

J : Oui, s’ils donnent une chance aux auteurs de développer leur talent. Pour beaucoup, leurs œuvres se ressemblent trop, alors ils n’arrivent pas à se faire publier, ils se tournent vers d’autres métiers et la création de manhua souffre en conséquence.

T : Il y a quelques années encore, la concurrence sur le marché de la BD était un peu plus forte à cause de la piraterie. Mais les publications de bandes dessinées, ainsi que ceux de manhuas, ont vraiment du mal à survivre. Notamment pour les magazines mentionnés par Ji Di tout à l’heure, le gouvernement aidait en partie mais les subventions n’ont pas continué et les magazines se sont alors arrêtés. En fait, la survie de Comic Fans, jusqu’à aujourd’hui, n’est pas chose facile non plus. Seulement, il faut avancer pas à pas et ne pas précipiter la chose.

B : C’est lors d’un entretien, je crois, que tu as parlé du conflit entre la valeur commerciale et la sensibilité artistique. Étant une artiste, comment arrives-tu à concilier l’équilibre entre ces deux aspects d’une œuvre ? Par exemple, on sent qu’une grande partie du manga est sensible au marché : l’auteur a plus de pression pour répondre aux goûts et préférences du marché. Cela peut limiter une partie de l’expression artistique.

J : Je ne pense pas que ce sont deux aspects nécessairement en conflit. Enfin, pour moi, cela ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que j’aime raconter et communiquer avec les gens. Je veux que les gens puissent comprendre ce que je dessine et ce que je raconte. C’est comme pour un conteur qui narre une histoire : si le public ne réagit pas et qu’il n’a pas compris, c’est peut-être dû à un problème de narration. Ce qui est important, c’est de pouvoir s’exprimer avec sincérité, et non pas de penser à comment répondre à des attentes commerciales. Du moins, voilà mon expérience. Je n’ai jamais réfléchi à ces questions. Je n’en pense rien et je n’y ai jamais réfléchi. J’ai seulement réfléchi à comment m’exprimer sincèrement.

B : Est-ce que tu peux parler de la manière dont le magazine Comic Fans s'y prend pour découvrir et faire progresser les jeunes auteurs ?

J : Mon éditrice donnera une meilleure réponse à cette question, car je suis trop subjective. Pour moi, ça s’est passé ainsi : j’ai publié mes œuvres sur Internet et un éditeur de magazines est tombé dessus. Il a jugé que mes œuvres avaient une certaine valeur commerciale. C’était assez doux et j’y traitais de questions légères ainsi que d’amour, donc ça pouvait toucher un grand public.

T : Il y a une grande variété de sujets pour les œuvres. C’est toujours l’éditeur qui va lui-même à la pêche aux talents.

B : Il pêche au hasard ?

T : Non, pas vraiment. Internet est assez répandu de nos jours alors l’éditeur trouve souvent ses auteurs par ce biais. Avant, quand on voyait un auteur qu’on aimait bien dans un autre magazine, on lui demandait aussi s’il était intéressé de faire un projet chez Comic Fans.

J : Parfois, quand je vois un dessin particulièrement bien fait, même si je ne connais pas l’auteur, je vais quand même le montrer aux éditeurs.

T :Il y a aussi des noms qui sont recommandés par l’intermédiaire d’autres auteurs.

B : C’est en effet un cercle très développé. De nos jours, Internet est tellement utilisé que les jeunes auteurs ont plus de chance qu’auparavant de se faire connaître.

J : Oui, beaucoup d’auteurs ne se connaissent pas, en fait. Par exemple, Comic Fans publie maintenant des illustrations et il y a un site internet, Tuya Wangguo(15), où il y a beaucoup de bons auteurs. Parfois, quand j'en vois un qui est particulièrement talentueux, je le montre aux éditeurs. Et quand ces auteurs se présentent, ils citent et font aussi la recommandation d’autres auteurs qu’ils aiment. C’est ainsi pour tout le monde.

B : Ici, beaucoup publient par leurs propres moyens des fanzines(16). Je ne sais pas si vous en avez vu.

J : Hélas, on est bien pauvre en Chine !

B : Oui, je pense aussi. Tant mieux qu’on ait Internet maintenant ! Ça facilite beaucoup de choses et il suffit d'y publier ses œuvres. My WayAttardons-nous sur ce premier tome de My Way. J’ai quelques petites questions qui peuvent te sembler bizarres. Le bonhomme avec le chapeau, ce voyageur avec sa valise, c’est en fait un "il" ou une "elle" ?

J : Au début, j’ai voulu dessiner une fille, parce que les filles ont une plus grande sensibilité. Plus tard, je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu l’impression que c’était un garçon. En fait, beaucoup de gens pensent que c’est un garçon. Je ne crois pas que ça soit important. Au fil des dessins, j’ai aussi eu cette impression. Peut-être faut-il comprendre que c’est trop dangereux pour une jeune fille de voyager si loin toute seule, et alors c’est devenu un garçon.

B : Ton style artistique est très particulier. Peux-tu nous en dire plus sur les techniques utilisées pour tes illustrations ?

J : Je dessine à l’aide de logiciels comme Photoshop. Je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à la question de la technique. Je pense que la chose à laquelle je réfléchis le plus quand je dessine, même si cela ne se voit pas encore dans ce livre-ci, parce qu’il est plus ancien, c'est que je prête attention maintenant à la lumière dans le dessin, comme les projections de lumière. Je ne prête pas vraiment attention à la technicité du trait. Tout ce qui compte est que cela soit agréable aux yeux.

B : Je sais que tu as fais une formation d’arts, spécialisée dans le dessin. Penses-tu qu’une éducation formelle t'a été utile ?

J : Oui, ça m’a apporté beaucoup de choses. Mon école, qui n’est pas une école spécialisée dans les arts, n’avait pas un programme très poussé concernant les matières artistiques. Malgré cela, mes études m’ont permis de développer un regard critique envers l’art. Par exemple, quand je vais au musée d’Orsay en France et que j’y vois les peintures, je peux apprécier la beauté qui s’en dégage. Mes études m’ont permis d’acquérir le minimum nécessaire pour cela. De plus, j’ai toujours voulu pouvoir dessiner une bande dessinée en reproduisant l 'aspect de la peinture à l’huile.

B : À propos de ton personnage, il n’a pas de bouche.

J : Beaucoup de gens me posent cette question.

B : Oui, je suis curieuse, parce que ce n’est pas courant comme concept de personnage en bande dessinée.

JiDiJ : Juste, ne me demande pas comme il fait pour manger (Rires).

T : Nous pouvons copier Hello Kitty et souligner qu'elle n’a pas de bouche non plus.

J : Oui, c’est vrai. Hello Kitty n’a pas de bouche, ni d’expressions. Je n’y ai pas beaucoup réfléchi quand j’ai créé ce personnage. Plus tard, on m’a posé la question et j’ai pensé que le fait qu’il n’ait pas d’expression particulière laisse justement une grand place pour l’imagination.

B : As-tu des idées ou des inspirations pour tes œuvres futures ? Je sais que cette série est toujours en cours.

J : Je vais peut-être dessiner quelques histoires courtes à titre d’expérimentation. Je vais aussi tenter l’écriture d’un roman. En outre, je vais consacrer plus de temps à voyager et à apprendre. En fait, My Way est ma première œuvre si bien que ce n’est qu’une étape dans mon apprentissage. J’ai dessiné du premier tome jusqu’au quatrième et cela m’a permis d’apprendre beaucoup de choses et de voir le monde. Cependant, pour moi, le processus créatif n’est jamais vraiment commencé ni terminé. Je veux dire par là que chaque livre publié devient déjà un morceau du passé et cela vaut pour tous mes travaux. Tout est, à chaque fois, un nouveau départ et il y a encore plus de nouvelles choses à commencer et à expérimenter. Ça me rend pleine d’espérances.

B : Voilà une très belle philosophie ! Parlons un peu de toi maintenant. Je sais que tu aimes beaucoup voyager et j’ai vu que tu as beaucoup voyagé, notamment au Népal et au Tibet.

J : Je vais souvent au Tibet, parce que Chengdu, là où je vis, est très proche du Tibet, à seulement un vol d’avion(17).

B : Est-ce que tu cherches de l’inspiration là-bas, ou y vas-tu simplement pour admirer le paysage ?

J : Je crois que dans un voyage solitaire, le but recherché n’est pas de faire du tourisme, principalement, mais de pouvoir tester son courage, sa confiance en soi et la capacité à communiquer sans cesse avec les gens. Quand tu vas à l’étranger, tu dois parler une langue étrangère. De plus, les gens autour de toi sont tous de nouveaux compagnons de voyage que tu ne connaissais pas et avec qui tu dois interagir. Je trouve cette expérience très intéressante. On peut connaître des gens très intéressants à chaque fois.

Ji Di et BeanieB : Revenons à ton procédé créatif. Que se passe-t-il quand tu n’arrives pas à dessiner ou que tu es frustrée pour le dessin ? As-tu des anecdotes à partager ?

J : En fait, je suis très peu frustrée quand je dessine. Quand je suis lasse de dessiner, je vais faire un gribouillis, je vais écrire ou je sors faire un tour. Comme je vis seule à Chengdu, je mène une vie très simple. Chaque jour, je me lève et je dessine, ou je lis. Il n’y a pas beaucoup de choses compliquées et peu de choses frustrantes dans ma vie. En plus, j’aime beaucoup le bouddhisme. C’est aussi cela que je vais si souvent au Tibet : pas parce que je suis croyante, mais simplement parce que j’aime le bouddhisme. Quand on apprécie le bouddhisme, on a l’esprit plus calme. Peu importe ce qu’on fait, la vie finit toujours par s’éteindre et seules restent les œuvres. Donc, cela ne me gène pas de laisser de côté de bonnes œuvres, à condition que je n’en meurs pas de faim pour autant.

B : Ji Di et Tree, merci beaucoup pour m'avoir consacré de votre temps ! Ce fut un plaisir de discuter avec vous. Bonne continuation pour la suite.

J : Merci à toi.

T : Au revoir.

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(1) Le terme "manhua" désigne les bandes dessinées chinoises, particulièrement d’auteurs. C’est à peu près l’équivalent du manga pour les japonais et du manhwa pour les coréens. Pour avoir une vue d’ensemble du marché du manhua, vous pouvez vous référer au compte-rendu réalisé par Shikata ga nai d'une conférence donnée par Patrick Abry, directeur de collection chez Xiao Pan, disponible sur le site The Shadow Dreamers.

(2) Le terme " éditeur / éditrice" désigne une personne chargée de gérer un ou plusieurs auteurs d'un magazine. En japonais, on utilise le mot "tantô" pour la désigner.

(3) Formule de politesse pour exprimer l’humilité, venant à l’origine du japonais : "yoroshiku onegaishimasu".

(4) Editeur chinois spécialisé dans la bande dessinée et l’animation. Pour plus de détails, voir l'article qui lui est consacré.

(5) Dessinatrice faisant de somptueuses illustrations à l’aquarelle et l’encre de chine.

(6) Auteur de manhua dont One Day, Orange et Remember qui sont publiés en français chez Xiao Pan.

(7) Auteur de manhua dont La Rêveuse publié chez Casterman dans la collection Hua Shu, et 80°C chez Kana sous le label Big Kana.

(8) Défunt magazine et pionnier dans la publication de manhua. Il a débuté en 1995 et s'est arrêté en 2006. C'était l'une des cinq publications sponsorisées par le projet du gouvernement chinois pour la publication spécialisée dans la bande dessinée et l’animation pour enfant, aussi appelé le Projet 5155 (pour 5 bases de production chinoise de dessins animés, 15 séries de bandes dessinées pour enfant, et 5 publications pour la bande dessinée et l’animation pour enfant, un objectif à atteindre dans les deux ou trois ans). 

(9) Défunt magazine spécialisé dans la publication de manhua. Lui aussi a débuté en 1995 et s'est arrêté en 2006. C'était l’une des cinq publications du Projet 5155.

(10) Terme emprunté au japonais pour désigner un style graphique.

(11) Auteur de Vampire chez Xiao Pan.

(12) Auteure de manhua, ayant un style graphique typiquement shôjo.

(13) Terme emprunté au japonais, désignant un style graphique.

(14) Livres composés d'illustrations et de courts récitatifs.

(15) Mentionné dans la post-face du premier tome de My Way. Littéralement, "le Royaume des Gribouillis". Site d’internautes qui y publient leurs dessins, comme deviantArt. Ji Di en est un membre très actif et l’une des figures de base.

(16) Contraction des mots "fan" et "magazine", ceux-ci désignent les petites publications de dessinateurs faites en amateur. Il y en a en fait très peu en Chine et seules les associations les plus prolifiques et les plus connues en sortent.

(17) Les vols à l'intérieur du pays sont assez peu chers. Cela revient à peu près au prix d'un billet de train pour un siège en première classe.